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Jour de ressac

1984 : je suis en 3ème et on commémore les quarante ans de la libération de la France. Était-ce un projet pour toutes les classes de 3ème ou simplement l’initiative de mon prof d’histoire pour sa classe ? Je ne sais plus. Je me souviens qu’on était dispersés dans le réfectoire et qu’on avait deux heures devant soi pour traiter le sujet du Concours National de Résistance et de Déportation : La Libération à partir de juin 1944 et les rôles respectifs des armées alliées, des FFL et des FFI (je reviens d’internet pour l’énoncé exact du sujet, il n’était pas marqué au fer rouge dans ma mémoire).

Les semaines précédentes, prenant à coeur ce projet, j’étais devenue rat de bibliothèque. Des livres, il y en avait partout sur mon coin de table. À cette époque, vous alliez au guichet les demander et on vous les apportait sur un chariot. J’imagine qu’on ne connaissait pas le sujet en avance. Mes recherches partaient dans tous les sens jusqu’à ce que je découvre l’opération Astonia menée par des bombardiers anglais sur le Havre. Mon incompréhension au-dessus des photos de ruines. Il ne restait plus rien de la ville. Dans ma copie, j’en avais longuement parlé tout en me disant que ce n’était pas ce qu’on attendait de moi.

Adulte, je suis souvent allée au Havre puisque je suis devenue normande d’adoption. J’aime cette ville verticale et en béton face à la mer. J’aime y revoir Rana et Daed, deux amies syriennes. Étonnamment jamais n’est remonté à la surface ce souvenir de 1984. Il attendait 2024 pour réapparaître au détour de la lecture du dernier roman de Maylis de Kérangal, Jour de ressac. Ça a la gueule d’un roman noir : la narratrice revient au Havre après des années d’absence pour une affaire qui la concerne. Elle vient identifier un corps retrouvé sur la plage non loin de la digue.
Sac et ressac de son adolescence en cette ville qu’elle connait par coeur, sac et ressac de la ville fantôme. Ça fait un bruit de galets incessant, flux et reflux des souvenirs, des guerres, des migrants, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui.

Et au milieu de tout cela, mon souvenir qui échoue sur la plage.

Photo : Le Havre, vu de la digue, août 2024

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