Instants

Et de deux !

Taxi-wonder-woman vient de te déposer chez toi. Après toutes ces heures passées dans un fauteuil médical à attendre que les poches du nectar, une à une, s’écoulent en toi, tu as besoin de rééquilibrer la journée. Tu enfiles tes pompes de rondo et pars. Le tonnerre gronde au loin. Tu as toujours aimé marcher au bord d’un orage. Alors que tout semble à l’arrêt dans l’attente de la pluie, toi tu avances d’un bon pas. Tu grimpes sur les coteaux de Seine et laisse cette deuxième journée de chimio (plus que dix) remonter.
Elle t’a offert tant de douceurs :
Le rendez-vous avec l’esthéticienne qui dédramatise tout ce que tu dois faire (la double couche de silicium et le vernis sur les ongles à changer chaque semaine, la crème hydratante et la crème solaire ) pour contrer les effets secondaires du taxol. Hier tu as bien fait de mettre dans ton sac l’insurmontable : tu en parles et il se dégonfle peu à peu. Non tu n’as pas besoin de burqa pour aller jardiner et oui tu peux traverser l’été en Birkenstock!
Ta morveuse qui te rejoint le midi à la cafèt’ : tu lui fais passer un oral blanc avant qu’elle ne se retrouve l’après-midi devant son jury pour devenir Infirmière en Pratique Avancée. Tout en l’écoutant, tu te dis qu’elle a belle allure et qu’elle est déterminée. Tu en oublierais presque que tu as une chimio à recevoir.
Ta coloc de chambre : elle est déjà installée quand tu arrives. Le regard espiègle, un fier port de crâne chauve, un sourire malgré tout : un peu plus loin, tu aimerais garder cette force-là. Vous vous mettez à discuter. Tu comprends vite qu’elle habite juste derrière la chaumière de ton amoureuse. Ses enfants l’avaient comme prof. Que dire ? Que le monde est petit ? Qu’il n’y a pas de hasard ? Pendant trois heures, vous allez parler, elle aussi te donne des trucs. Oui on peut aller à la mer avec sa chambre et son cancer. C’est bien aussi de parler avec d’autres qui vivent la même chose, ça allège le lourd. D’ailleurs elle fait partie d’une toute jeune asso dans son village. Elle t’y invite. Souvent l’intime et le douloureux apparaissent et vous avez le même réflexe : regarder par la fenêtre le temps que disparaisse la boule dans la gorge.
Vous avez tellement aimé ce temps partagé que les infirmières l’ont noté : vous réservez la même chambre pour la semaine prochaine.
Le retour à la biquetterie en vaisseau départemental : il y a bien sûr taxi-wonder-woman en pleine forme et Hortense, une grand-mère congolaise sous un turban noir et bordeaux qui vient d’entrer en rémission, en pleine forme aussi donc. Elle raconte ses certitudes, elle est sûre que ça va aller pour toi. Vous riez quand t-w-w reçoit un appel d’une autre patiente qui attend devant un autre hôpital, elle lui envoie un collègue d’ici une quinzaine de minutes. Tu ne sais plus comment mais plus loin sur la départementale vous parlez de dieu. Dans le même habitacle, une musulmane, une chrétienne et une juive qui s’en remet plutôt à l’univers : un espace de paix quand partout ailleurs la guerre assombrit le monde irrémédiablement.

Oui tu as repensé à tout ça en marchant pendant deux heures, le sourire aux lèvres, le long de l’orage qui a explosé dès que tu as franchi le seuil de la biquetterie.

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