• Instants

    dans la maison vide

    Ça y esttu es allée marcher d’un bon pas (t’assurer quotidiennement que ton corps est toujours bien là après quinze chimios)P. l’infirmier vient de booster tes globules (il est aussi sympathique que T. Ngijol dans la série Empathie que tu regardes les lundis soir)tout est en ordre et la journée t’appartientdehors rafales vents et aversesla mauve arbustive aussi souple que le roseaule parasol écroulé entre la sauge et les framboisierstu laisses la fenêtre ouverte et retournes t’allongerle chat à tes pieds ne bronche pastu vas enfin poursuivre le grand plaisir d’hierla lecture de La maison vide de Laurent Mauvignierroman de haute voltige (merci de ne pas déranger avant demain)

  • Instants

    Sinistrité, n.f.

    La pré-rentrée est passée puis la rentréetu es restée dans la marge blues et nuagestu poursuis ton entraînementécrire de la main gauche et redevenir lisibletu acceptes la lenteur inconnueà l’exemple de la sceliphronbrin de foin après brin de foinelle affine son nid sous la table rouilléeécrire de la main gauche et gagner en aisancetu inventes un mot pour dire cela : la sinistritéOn te dit qu’il n’est pas beau, alors tu le défends : du latin « sinistra » main gauche, construit comme dextérité du latin « dextra » main droite. Qu’y peux-tu si les Romains après avoir tracé un cercle au sol disaient aux dieux : allez-y, envoyez les oiseaux pour répondre à…

  • Instants

    casse-bras

    Pourtant la randonnée avait été belle : ton énergie à nouveau là qui avale le dénivelé, ton insolence sur les côteaux de Seine qui oublie tous les revers des derniers mois. Tu débordes d’une joie que tu connais bien. Avant de redescendre, vous vous asseyez sous l’arbre de la côte des deux amants. Un coureur dix fois descend, dix fois remonte. Vous admirez sa résistance et son aisance. Tu repenses à la seule fois où tu as monté ce sentier abrupt en courant. Tu as cru y laisser tes mollets et tes poumons. Tu ne sais pas encore que tu vas te souvenir longtemps de ta descente : ton pied…

  • Instants

    Aller à la clim’

    À la limite de la nuit, tu descends marcher. Le monde vient tout juste de s’éveiller. À ta gauche, la lune, à ta droite, la naissance d’une lueur. Tu vas d’un bon pas. Tu croises un pouillot véloce et un camion-poubelle. Il collecte tout le recyclable de vies insouciantes.Quand tu remontes sur ta colline, tu fais la course avec le soleil qui se lève. Il va taper fort aujourd’hui. Tu ne veux plus l’uppercut, tu aspires à préserver la douceur réapparue.Tu songes que plus tard tu iras à la clim’. Tu tiens cette expression de ta grand-mère qui, les jours de grande chaleur au bord de la Méditerranée, disait malicieusement…

  • Instants

    Plus tard…

    Depuis deux jours, à ton réveil, les nausées sont làtu n’as pas envie de descendre te faire couler un café et te griller une tartinetu restes allongéeattendant qu’elles partent par le velux ouvert sur le jour qui se lèvepour mieux les ignorer tu lisBrouillard mais ça se dissipera d’Albane Gellé« pendant que des amis / viennent / et nous aiment / et nous accrochent / des parachutes sur le doson ne veut rien / entendre / mais ils insistent / la vie insiste »Plus loin qu’ailleurs de Chaboutéil te ressemble ce gardien de nuit : il voulait la grande aventure en Alaska mais sa jambe dans le plâtre l’invite à s’asseoir sur…

  • Instants

    Et de douze !

    Un deux troiste reste encore neuf foisquatre cinq sixtu poursuis le synopsissept tu es en mietteshuit et neuftu te bluffesdix onze douzetu finis pépouze Tes globules et tes plaquettes sont toujours là, tes jambes aussi qui t’ont portée à vélo ou à pied et les jours où tu aurais bien aimé tout arrêter pour retrouver ta vie d’avant. Douze chimios traversées vaillamment avec ta garde rapprochée. Tu n’espérais pas le tapis rouge ou la ola du personnel aligné dans l’étroit couloir, des douzième fois il en traverse tous les jours. Mais quand même… Au lieu de cela, tu as rendez-vous avec une oncologue junior. C’est reparti, elle t’annonce la suite…

  • Instants,  La classe !

    ad ultimam

    Ce lundi, la canicule (du lat. canicula, « petite chienne ») a enfin lâché prise. Les Bretons et P. ont lancé une opération nettoyage du jardin de ta biquetterie. Le midi, vous vous retrouvez autour de la table. Vous parlez d’hier, de la randonnée à Lyons-la-Forêt. Il faisait tellement chaud qu’à tour de rôle ils avaient maintenu un parapluie ouvert au-dessus de ta tête. Les passants te regardaient, espérant croiser quelque célébrité. Vous aviez ri comme des gamins. Tu ne sais plus pourquoi mais autour de la table, P. et toi avez dévié vers des énigmes étymologiques. Il te demande si tu connais l’origine du mot adulte. Avec une fausse modestie, tu…