By heart, Tiago Rodrigues
Quand je fais comparoir les images passées
Au tribunal muet des songes recueillis
Vous êtes bloqué.e chez vous, non parce qu’il fait trop chaud dehors mais parce qu’il tombe des cordes depuis ce matin. Ça a une gueule de début de printemps, voire d’automne. Vous regardez le jasmin que vous avez laissé pousser devant la fenêtre, en version pergola bio-climatique. Faute de parer le soleil, il arrête la pluie.
Je soupire au défaut des défuntes pensées,
Pleurant de nouveaux pleurs les jours trop tôt cueillis.
Impossible d’aller courir, marcher ou nager. Vous êtes contraint.e de vous projeter dans cet espace réduit et ce temps vide.
Des larmes oublieux, mon œil alors se noie
Pour les amis celés dans la nuit de la mort,
Vous décidez de vous rendre utile à votre intérieur : vous allez faire le tri de papiers entassés, de vêtements oubliés et d’objets qui dorment au fond des tiroirs. Vous reculez depuis longtemps à le faire parce qu’il y a de la mémoire dans tout ce fatras-là.
Rouvre le deuil de l’amour morte et s’apitoie
Au réveil sépulcral des intimes remords.
Vous décidez de déséquilibrer la météo et le silence en lançant un podcast de France Culture, Les Fictions–Avignon. Sans hésiter, vous cliquez sur By heart de Tiago Rodrigues, tout nouveau directeur du festival. Vous aviez vu, il y a quelques années, lors du festival Terres parallèles, son Flaubert.
Je souffre au dur retour des tortures souffertes,
Je compte d’un doigt las, de douleur en douleur,
Vous savez alors que le tri attendra un autre jour de pluie. Vous retournez un cageot et vous asseyez. Vous allez vous laisser porter par la voix aux accents portugais irrésistibles de Tiago, le laisser vous parler de Pasternak, Steiner et Farenheit 451. Vous allez le laisser vous dire qu’on vit des temps lourds, que nous sommes ce dont nous nous souvenons et que ces fils de pute -si l’expression vous dérange, vous pouvez la remplacer par des noms, vous avez l’embarras du choix en ce moment- ne peuvent pas toucher à ce qui est en nous.
Le total accablant des blessures rouvertes
Et j’acquitte à nouveau ma dette de malheur.
Et surtout, avec dix autres spectateurs, vous allez tenter l’expérience d’apprendre par coeur le sonnet 30 de Shakespeare.
Mais alors si mon âme, Ami.e, vers toi se lève,
Tout mon or se retrouve et tout mon deuil s’achève.
Photo : Un coeur (pas) simple… de Gaspard Lieb