Instants

Les jardins d’Angélique

Direction le plateau est de Rouen en passant par la route des falaises d’Orival. Suivre la Seine apaise, à moins que ce ne soit longer les falaises par en-dessous. Quand on arrive enfin à Montmain, on se marre bien dans la voiture. Autant de voyelles nasalisées dans un nom de commune ! On s’invente une phrase à la limite du prononçable : nous allons voir tonton et maman à Montmain ! Sauf qu’on ne va voir aucun membre de la famille à Montmain mais les jardins d’Angélique.
Nos corps savent tout de suite qu’ils viennent d’aborder dans un havre de paix. Ils se relâchent. Quant à nos esprits, ils ne sont plus sur leur garde. Nous étions au bon endroit pour faire la paix avec les jours et les semaines qui venaient de s’écouler. On appelle sans doute cela un temps suspendu. Au-dessus de quoi ? Je ne sais pas.
Devant le manoir, nous cherchons la propriétaire. Une ardoise indique qu’elle est dans le jardin. Nous nous acquitterons de notre billet d’entrée plus tard et filons arpenter le jardin à la limite de la grande pelouse, piste d’envol pour des fourmis volantes.
À peine le portique en fer forgé passé, nous nous coupons de tout le reste. Des centaines de végétaux se déploient sous des arbres. Nous nous reflétons dans des miroirs et une mare. Ici, il n’y a pas de hordes de touristes comme à Giverny ou à Chaumont-sur-Loire. On y est bien. Le long d’une allée, une brouette déborde de persicas. Tu admires les hydrangéas et imagines créer un nouveau bosquet dans ton parc à la place des rhododendrons desséchés.
Quand nous rejoignons la pelouse, à nouveau, la propriétaire est là. J’allais écrire un petit bout de femme ridée comme une pomme mais elle dégage une telle énergie avec ses yeux qui pétillent qu’il faut que je trouve une autre expression. Nous sommes sous le charme et ne songeons pas à le rompre. Elle parle de sa fille Angélique morte à 19 ans, de son mari parti lui-aussi. Était-ce la même année que l’érable qui dresse encore son tronc, tout au fond ? Nous lui achetons des potées de persicas, elle nous en ramène même une grande brassée qui attendait dans sa brouette. Elle se marre bien : ça, c’est increvable et ça se répand partout.
Ce matin, j’ai placé les increvables dans le jardin de la biquetterie. J’aime leur fragilité face au vent d’ouest.


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