La classe !

Ça coule de source

Cette semaine, j’ai fait passer le test de fluence à mes élèves de 4è. Fluence : mon ordinateur ne connaît pas ce mot et le souligne en rouge. Il n’est pas non plus dans Le Petit Robert, entre « fluer » et « fluide ». Ils ont tous les trois la même source : le latin fluere « couler ».
Je tire une table dans le couloir et appelle chaque élève, l’un après l’autre. Pendant ce temps, les autres se plongent dans le roman ou la BD qu’ils ont toujours dans leur sac. Le collège pratique le quart d’heure lecture. Vous savez, ce moment sacré où tout un établissement s’arrête en même temps et où chacun s’absente des autres pour rejoindre son livre.
Je les fais donc défiler un à un et leur explique que l’objectif -c’est une commande nationale- est de lire le plus de mots possible en une minute. Un peu comme si je vous disais : courez un 100 m haie sans échauffement ! Inévitablement, les coeurs s’emballent, les corps crampent, les voix trébuchent et même les très bons lecteurs ne parviennent pas à la fin du texte. Si je leur demande ce qu’ils viennent de lire, ils n’en ont aucune idée. Leur cinéma mental n’a pas décollé. Ils ont déchiffré et uniquement déchiffré des lettres mises bout à bout. Ça n’a pas flué, ça a coulé. Ce fléau (rien à voir avec le fluere du début, allez plutôt voir du côté de flagellum) s’est abattu sur la page d’un roman que je chéris tout particulièrement car c’est le dernier que j’ai lu à voix haute avec mon morveux, un chapitre à tour de rôle, soir après soir : Le combat d’hiver de Jean-Claude Mourlevat.
Dans ce test de fluence, il y a eu pourtant quelques moments de poésie. Quand wagon devient vagabond et avenue, aventure. Avec une élève, ce sont deux phrases qui ont été modifiées, avec une logique indéniable. « Et si elle s’était trompée ? Non, on ne peut pas se ressembler à ce point. » est devenu « Et si elle était tombée ? Non, on ne peut pas se redresser à ce point. »
Je présente, ici, mes excuses à tous mes élèves pour cette minute inutile. Nous allons maintenant passer à l’essentiel : voyager avec légèreté et nous élever à l’image de ces montgolfières envoyées ce matin par mon morveux parti lire le monde en Cappadoce.

Photo : fragment du Poétobus, La Factorie, maison de la poésie de Normandie

5 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *